Saad Ibrahim Al-Attar, exilé irakien

Georgia Trismpioti, conseillère à la Croix Rouge à franceinfo
« Depuis l’été, des milliers de demandeurs d’asile poussés par la Biélorussie, tentent d’entrer en Europe par la Pologne. Mais ils sont aujourd’hui coincés dans un no man’s land instauré par les autorités polonaises le long de la frontière avec la Biélorussie. »
Récit pour un enfant pas tout à fait imaginaire …
Saad Ibrahim Al-Attar
Je m’appelle Saad, j’ai onze ans. Avant, j’allais à l’école, mon petit frère Amin, allait à l’école des petits. Moi, je sais lire, écrire et compter. Mes parents sont fiers de moi, je crois. Mais mon papa est trop triste pour me dire. Il ne travaille plus ; il est caché à la maison. Nous ne devons dire à personne qu’il est avec nous. Si on nous pose des questions, cela fait longtemps qu’il est parti de la maison.
Maman ne dit rien, mais parfois elle passe sa main dans mes cheveux, et moi, je comprends qu’elle m’aime.
Un soir, papa, nous a dit « Les enfants, ce soir, nous allons partir, nous allons quitter le pays. Je ne peux plus vivre normalement en Irak. Nous allons monter dans une camionnette, nous irons en Biélorussie, ils délivrent des visas, et nous pourrons entrer en Europe en passant par la Pologne. »
Il nous demanda de préparer un minimum d’affaires. Je crois qu’Amin n’a pas compris, il s’est rendormi tout de suite, alors, je lui ai préparé son sac.
La camionnette était vieille, elle toussait, elle râlait, et à chaque bosse elle nous projetait. Avec Amin, on s’est mis à sauter, pour jouer.
Papa était content, il avait les visas. Lui-même était surpris. Il suffisait de demander. La frontière était composée de barbelés, et des soldats se tenaient là. Moi, j’ai eu peur. Les soldats avaient de grandes pinces, ils ont coupé les barbelés, et nous ont fait signe de passer. Devant nous, il y avait une grande forêt. Amin s’est serré contre moi, la forêt lui rappelait des vieilles légendes avec des monstres.
Saad

Une immigration orchestrée par Minsk et Moscou ?
Papa nous a expliqué qu’il fallait juste marcher un peu et nous arriverions en Pologne. C’était la dernière épreuve. Le chemin devenait de plus en plus étroit. Nos pieds s’enfonçaient dans l’herbe humide, puis dans l’eau. J’avais froid, mais j’avais compris que je ne devais pas me plaindre. Amin s’est mis à pleurer. Papa l’a porté sur ses épaules. Maman a passé sa main dans mes cheveux. Nous avons continué à marcher. Nous étions nombreux, au moins trente personnes, nous parlions peu, mais quand nos regards se croisaient, nous nous sourions.
Après le marécage, il y avait une rivière. Deux hommes sont passés en premier. Ils avaient de l’eau jusqu’à la taille. Cela voulait dire que les enfants comme moi, nous avions pied. Pour Amin, c’était plus compliqué, il pouvait se noyer. Il fallait le porter. La traversée fut très longue. Certains hommes faisaient plusieurs trajets pour les enfants, pour protéger les affaires.
Quand tout le monde fut sur l’autre rive, il faisait nuit, et très froid. Les hommes décidèrent de faire un feu de camp, et de passer la nuit ici. J’étais trempé, je grelottais. Amin, tremblait, il était très pâle. J’avais envie de me jeter dans le feu pour retrouver la sensation du chaud.
Au matin, nous avons repris notre marche, Amin était toujours blanc et tremblant.
Rapidement, nous sommes parvenus devant de nouveaux barbelés avec d’autres soldats. Les Polonais ! Nous avons gagné… Mais les soldats polonais nous ont dit de retourner d’où on venait.
Les hommes ont rouspété, ils ont montré leurs visas, et les soldats ont rigolé.
Saad

Le groupe a décidé de retourner à la frontière biélorusse.
La marche dans l’autre sens était encore plus épuisante. Plus personne ne souriait. Plus personne ne parlait.
Les soldats étaient là, et quand ils nous ont vu, ils ont crié, ils nous ont fait signe de retourner vers la Pologne.
Ils ont lâché deux chiens. Des grands chiens, avec un regard méchant.
Nous avons couru, mais Amin était trop faible, un chien l’a rattrapé, et l’a mordu à la cheville. Il a crié. J’ai cru qu’il allait être dévoré.
Le soldat a rappelé le chien.
La cheville d’Amin était rouge, déchirée. Amin pleurait et n’arrivait plus à marcher.
Nous avons refait le trajet : marécage, rivière, barbelé polonais … Et nous avons été rejetés.
Nous nous sommes tous installés au feu de camp. Les hommes ont parlé. Certains sont partis par la droite, d’autres par la gauche, et certains sont restés. Nous n’avions plus rien a manger ? Parfois, des hommes revenaient avec un peu de nourriture, et quelques couvertures. Certains Polonais avaient déposé ces trésors pour nous.
Papa tentait régulièrement d’autres passages pour nous tous, mais il nous disait de rester au camp, car Amin, ne pouvait plus avancer.
Je crois que nous sommes restés au moins dix jours, puis Amin est mort. Nous l’avons enterré.
Maman m’a caressé les cheveux. Papa n’a rien dit, et nous sommes partis.
Maintenant, nous sommes assis à la frontière. Il y a des soldats et des policiers. Maman dit qu’il faut garder espoir.
Saad

Tout au long de la frontière avec la Biélorussie, le gouvernement polonais a instauré une « zone rouge », inaccessible aux observateurs externes et aux travailleurs humanitaires. Des check-points en interdisent l’accès. (MILAN AMIN / RADIO FRANCE)
Bientôt un mur à la frontière ?
Le Parlement polonais valide la construction d’un mur contre les migrants à la frontière avec la Biélorussie
Merci pour cet article poignant.
La misère et le malheur de ces familles déracinées qui font le jeu de Loukachenko dans son bras de fer avec l’Europe et proprement scandaleux et ignoble. Une catastrophe humanitaire pointe, l’hiver est déjà là et pire est à venir.
Il n’y a pas le choix, nous devons les laisser entrer et les prendre en charge, et dans le même temps sanctionner encire plus durement le régime biélorusse.